Par Jenni Morrison ,
Spécialiste en analyse des données de risque
02/06/2024 · Lecture de 6 minutes
Le secteur de l’énergie repose sur un équilibre délicat entre les progrès et les risques. Les pertes et les incidents majeurs peuvent avoir des conséquences considérables, dont certaines peuvent être évitées si la cause fondamentale est traitée. Les organisations peuvent renforcer leurs pratiques et leurs plans de gestion des risques en analysant et en examinant les incidents et les expériences des autres et en tirant des leçons de ces incidents et ces expériences.
Pour développer et maintenir des activités durables et résilientes, les organisations doivent éviter d’être complaisantes face aux risques afin d’assurer la sécurité et le bien-être de leur main-d’œuvre, de leurs communautés, de leur environnement et de leur rentabilité à long terme. Ignorer les recommandations en matière de risque peut avoir de nombreuses conséquences, comme des dommages à la réputation, des pertes financières et, dans le pire des cas, des pertes de vie. Le défaut de traiter les risques identifiés érode la confiance des parties prenantes dans la capacité d’une organisation à exercer ses activités avec intégrité et ambition.
Les pratiques de gestion des risques dans le secteur de l’énergie et de l’électricité ont continué de s’améliorer, largement en raison de la dynamique structurelle, comme la numérisation et la réglementation, ainsi que des connaissances et des procédures opérationnelles avancées. Toutefois, l’élimination ou la réduction des biais demeure l’une des mesures les plus importantes à intégrer aux examens des risques opérationnels et stratégiques. Les biais sont souvent inconscients et peuvent mener à une prise de décision irrationnelle ou mal informée, ce qui augmente les risques plutôt que de les réduire. En comprenant les biais connus et en repérant certains des biais imperceptibles, les entreprises peuvent développer une culture de sensibilisation, d’agilité et de vigilance.
Plusieurs facteurs communs peuvent être observés en ce qui concerne les incidents de perte majeure, comme la culture, les coûts et la conformité. Ces facteurs sont principalement liés à la gestion de la sécurité des processus. Ils peuvent avoir une incidence sur la capacité à tirer des leçons des incidents passés ou à prendre des mesures efficaces fondées sur ces leçons au fil du temps et dans plusieurs emplacements.
La culture est un facteur important et parfois négligé lors de l’évaluation des risques. Si la culture de sécurité des processus n’est pas bien ancrée dans la psychologie d’une organisation, les listes de vérification, les procédures documentées et le savoir-faire technique peuvent être compromis.
Bien que la sécurité personnelle soit essentielle, se concentrer uniquement sur celle-ci peut entraîner une perception faussée de la sécurité globale. Par exemple, de nombreuses entreprises mesurent le rendement en matière de sécurité opérationnelle à l’aide d’indicateurs de sécurité personnelle, comme le nombre d’heures travaillées en sécurité. Selon le US Chemical Safety and Hazard Investigation Board (CSB), le fait de mesurer uniquement les indicateurs de rendement clés personnels en matière de sécurité peut fournir un faux sentiment de sécurité aux organisations, ce qui peut augmenter leur tolérance au risque. Pire encore, cela peut entraîner une complaisance plutôt que de favoriser la création d’une culture d’équipe et l’établissement d’objectifs communs à l’échelle de l’entreprise.
Une fausse idée courante dans le secteur de l’énergie est que l’approche traditionnelle d’analyse coût-avantage ne justifie que partiellement les investissements visant à réduire les risques d’événements à faible probabilité et à conséquences importantes. Dans un environnement opérationnel à risque élevé, il est essentiel de trouver un équilibre entre les considérations financières et l’impératif de prévenir les incidents catastrophiques. D’autres approches, comme les systèmes de surveillance et de contrôle en temps réel, qui établissent l’ordre de priorité de la sécurité des processus sans se fier uniquement aux analyses traditionnelles de coût-avantage, peuvent fournir une évaluation plus complète des investissements en gestion des risques.
Au-delà des répercussions financières, les atteintes à la réputation causées par le fait d’ignorer les recommandations en matière de risques peuvent être dévastatrices. Les parties prenantes, y compris les clients, les investisseurs et le public, s’attendent à ce que les organisations accordent la priorité à la sécurité et aux pratiques responsables. Ne pas tenir compte des avertissements mine la confiance, ternit l’image de marque et peut avoir des conséquences à long terme pour les relations d’affaires et la réputation sur le marché.
Négliger les risques reconnus peut également entraîner des violations de la réglementation et de la loi, et même mener à des accusations criminelles dans les cas extrêmes. Le secteur de l’énergie est fortement réglementé afin de favoriser le respect des directives de sécurité conçues pour protéger les travailleurs, l’environnement et le public.
Les 100 pertes les plus importantes présentées dans ce rapport démontrent que les leçons tirées des enquêtes antérieures sur les incidents ne mènent pas toujours à la mise en œuvre de meilleures mesures de sécurité. Quelques exemples ci-dessous illustrent certains des facteurs les plus importants de la gestion des risques pour le secteur de l’énergie.
Le sinistre Piper Alpha demeure le sinistre le plus coûteux enregistré en matière de dommages matériels.
Avant l’explosion, une vérification avait identifié des lacunes dans les procédures d’entretien et de sécurité sur la plate-forme. La vérification recommandait l’installation d’une soupape pour isoler une section précise du pipeline en cas d’incendie et la mise en œuvre d’une procédure de verrouillage et étiquetage. Les recommandations n’ont pas été mises en œuvre.
En 2017, une cause fondamentale similaire a entraîné un sinistre majeur aux Émirats arabes unis. Cet incident était lié à un manque de contrôle adéquat de l’isolation, une leçon et une exigence d’ingénierie qui auraient pu être appliquées après l’explosion Piper Alpha.
Une évaluation des risques a révélé des lacunes importantes dans les systèmes de prévention des débordements du dépôt. Aucune mesure n’a été prise et une explosion massive a entraîné des dommages importants au dépôt, aux biens à proximité et à l’environnement.
L’American Petroleum Institute (API) a apporté des modifications à la norme de prévention des débordements de réservoir (API 2350), qui décrit les pratiques exemplaires pour prévenir les débordements de réservoirs dans les installations pétrolières. Malgré cela, certaines entreprises n’ont toujours pas appliqué les mesures nécessaires de protection du matériel et des systèmes.
À ce jour, il s’agit du plus important déversement de pétrole en mer de l’histoire.
Avant l’incident, des recommandations visant à réduire les risques avaient été formulées concernant l’intégrité de la cimentation du puits et la fonctionnalité du bloc obturateur de puits. Les recommandations n’ont pas été mises en œuvre en raison des coûts importants, et les conséquences d’une défaillance ont été fortement sous-estimées.
La perception des risques et la tolérance au risque illustrent la nécessité d’adopter une approche équilibrée pour la prise de décision et la budgétisation, qui tient compte des gains à court terme et des implications à long terme en matière de sécurité.
Trois ans avant l’incident, une analyse des dangers opérationnels avait permis d’identifier le risque d’accumulation de polymère soufflé dans les tronçons morts. L’analyse des dangers opérationnels proposait de nettoyer les lignes tous les mois pour éviter toute accumulation potentielle et corrosion localisée.
L’exploitant n’a pas suivi la recommandation, en partie en raison des coûts. Le nettoyage mensuel était considéré comme injustifié, car le risque d’accumulation de polymère était perçu comme faible. Une enquête menée par le Chemical Safety Board (CSB) des États-Unis a révélé que le fait d’ignorer les recommandations en matière de risque a contribué de façon significative à l’explosion.
Cet incident souligne l’importance d’agir en fonction des recommandations en matière de risques, car même les décisions qui semblent petites peuvent avoir des conséquences considérables.
L’histoire a démontré que le secteur peut continuer à améliorer ses efforts pour gérer les dangers reconnus et mettre en œuvre de façon proactive les recommandations d’atténuation des risques.
Les principaux points à retenir de ces incidents sont clairs :
Mesures rapides : les exploitants doivent gérer sans délai les risques connus et mettre en œuvre les recommandations dès que possible pour atténuer les risques.
Communication efficace : une communication claire entre les parties prenantes, y compris les ingénieurs en gestion des risques, le personnel opérationnel et la direction, est essentielle pour s’assurer que les risques identifiés sont bien compris et que des mesures sont prises pour les atténuer.
Conformité et surveillance : la conformité réglementaire et une surveillance rigoureuse de la gestion du changement sont nécessaires pour mettre en œuvre les recommandations visant à réduire les risques et favoriser la sécurité et l’intégrité des activités.
Amélioration continue : une culture d’amélioration continue, axée sur les objectifs communs, doit être favorisée au sein d’une organisation, et dans l’ensemble du secteur énergétique, encourageant l’examen et la réévaluation réguliers des pratiques de gestion des risques.
En enquêtant sur les incidents opérationnels et en tirant des leçons de ces incidents, les organisations peuvent renforcer les pratiques de gestion des risques, minimiser les pertes, protéger l’environnement et protéger le bien-être des personnes et des biens. Grâce à un engagement collectif en matière de gestion proactive des risques, l’ensemble du secteur peut devenir plus résilient.